

Mais une fois précisé ce que l’on veut connaître ou comprendre, que l’on a discuté avec nos partenaires, le processus se continue. Voici, résumées, les étapes de la recherche telles que vues par le Forum mondial des femmes autochtones (FIMI) dans une publication à l’usage des femmes autochtones d’Amérique latine travaillant sur la violence (voir note 1). Ces étapes, bien qu’incomplètes sont très utiles à suivre pour présenter un projet à un bailleur de fonds ou aux autorités pertinentes dans une communauté :
1-Délimitation du thème de recherche : de quoi voulons-nous traiter de façon générale? Avant d’entreprendre la cueillette des données, (c’est-à-dire les informations dont on a besoin pour répondre à nos questions de recherche), il faut bien définir ce que l’on cherche et décortiquer les différentes questions que cela suscite. Dans les recherches collaboratives ou participatives, ce processus se fait en équipe et en collaboration avec les communautés impliquées de façon à ce que les questions de recherche permettent de répondre à des besoins identifiés par la communauté.
2-Posture des chercheuses : la chercheuse communautaire peut-elle ou doit-elle être neutre? Comment se positionne-t-elle dans la communauté?
Éléments de réflexion : réfléchir à sa position à titre de chercheuse par rapport aux clans familiaux et différents groupes et intérêts dans la communauté. Quels sont les clans ou groupes dans ma communauté? Certains ont-ils plus de pouvoir que d’autres? Quelles sont leurs particularités? Leurs forces, leurs leaders? Y a-t-il des tensions entre eux? Quels sont les enjeux? Y a t-il des personnes capables de rassembler les différents groupes? Qui sont-elles? Est-il important pour ma recherche d’avoir l’opinion et la participation de tous les groupes? Si oui pourquoi? Si non pourquoi? Qui doit absolument participer à la recherche? Comment faire pour que les tensions, si elles existent, n’empêchent pas la participation de différents groupes à la recherche? Ces réflexions et décisions doivent être conduites de la façon la plus neutre possible.
3-Problème ou question de recherche: qu’est-ce qu’on veut savoir ou qu’est-ce qu’on veut résoudre? Doit être restreint, spécifique et faisable. Il faut pouvoir répondre à la question, donc elle ne peut pas être trop large ni trop vague. La cueillette d’information se fera en fonction de cette question. Il faut aussi considérer le contexte dans lequel le problème ou la question se pose. Toutes les recherches ne visent pas nécessairement à résoudre un problème mais toutes les recherches ont une ou des questions.
Dans le cadre d’une recherche sur l’identité, on pourrait partir de la question : Comment les femmes autochtones définissent-elles leur identité ?
Il ne s’agit pas d’un problème, mais d’une question. Par contre quand on approfondit, on peut dire que la façon dont les femmes se définissent n’est pas prise en compte quand le gouvernement canadien décide qui est autochtone ou qui ne l’est pas. Il y a donc un problème derrière la question qui est posée.
Il est utile de discuter de ces distinctions au moment d’élaborer la question de recherche. La question est-elle claire? Est-elle assez précise? Est-ce que tous les participants comprennent la question de la même façon?
4-Hypothèse de recherche : désigne les liens entre les concepts qu’on utilise, mais surtout avance une explication/réponse à la question/problème de recherche.
La question ci-dessus « Comment les femmes autochtones définissent-elles leur identité? » n’appelle pas une hypothèse, mais cela n’exclue pas qu’il y en ait des non explicitées ou des sous-jacentes.
Qu’est-ce qu’un concept? C’est un mot «parapluie» qui recouvre plusieurs réalités, idées ou perceptions qui ont quelque chose en commun. Ex : Le cheval (Le même mot recouvre des réalités ou tout au moins des angles bien différents : le boucher regarde le cheval bien différemment du cavalier ou du vétérinaire ou de la spécialiste en zoothérapie). La table inclue autant la table de cuisine que la table de chevet ou la table de piquenique. Elles sont très différentes mais on sait que ce sont des tables. Le concept permet d’organiser des connaissances de façon cohérente.
Une hypothèse pourrait être que les femmes définissent leur identité différemment de celle déterminée par le gouvernement canadien. Dans ce cas, les informations recueillies permettraient de valider ou d’invalider cette hypothèse. Dans ce cas encore, nous devrions définir les différentes façons de voir le concept d’identité, celle dessinée par l’expérience des femmes et celle imposée par la loi canadienne.
5-Problématique : la problématique inclut les questions à poser et qui permettront de comprendre les données recueillies. C’est une vision globale de la question de recherche et du contexte dans lequel elle se pose. C’est grâce à ce cadre que les informations recueillies par la suite prendront leur sens.
La problématique est la façon dont les chercheuses perçoivent et comprennent le contexte justifiant leur projet de recherche et la ou les questions qui les intéressent. C’est le dessin que vont produire les pièces du casse-tête. Si on n’a pas un dessin qui nous guide pour mettre les morceaux du casse-tête ensemble, il est plus difficile de faire le casse-tête. La problématique n’est pas nécessairement complètement décidée au départ et elle n’est pas immuable non plus. Elle évoluera à mesure que la recherche avancera. En fait, il est important de demeurer flexible et de se laisser questionner par les informations qui ne rentrent pas dans notre dessin ou notre vision de départ.
Élément de réflexion : dans un contexte autochtone les droits collectifs, la complémentarité homme/femme et humain/nature, la question de l’harmonie doivent faire partie de la réflexion. Ces principes vont également influencer la construction de la problématique.
en abordant une recherche sur l’identité nous avons des idées ou des positions déjà bien précises: l’identité autochtone telle que décrite dans la Loi sur les Indiens est une expression du colonialisme canadien et n’est pas nécessairement représentative de la perception historique et culturelle qu’en ont les femmes autochtones. Dans une perspective de décolonisation, nous chercherons en quoi les deux perspectives se distinguent.
Tous les chercheurs ne se situent pas dans cette perspective de décolonisation. D’autres pourraient avoir d’autres positions qui les amèneraient à sélectionner et à comprendre les informations recueillies de façon différente. Toutefois, si des chercheurs prenaient pour acquis que l’identité des femmes autochtones est celle définie par la Loi sur les Indiens il est probable qu’ils ne poseraient pas la question : comment les femmes autochtones définissent-elles leur identité? Il y a souvent un lien entre la façon de poser la question et les positions ou partis pris.
Une fois terminé le travail de définition de la question de recherche, de réflexion sur la problématique et de réaffirmation des principes devant guider la recherche, il est temps d’identifier quelle méthodologie servira le mieux le processus de recherche, de procéder à la cueillette des données, à leur analyse et à la diffusion des résultats. Ces dernières étapes font l’objet de fiches séparées.