Après avoir défini ce que nous souhaitons connaître/comprendre et les questions auxquelles la recherche qualitative devra répondre, il faut identifier les façons d’aller chercher les éléments d’information qui permettront d’y répondre: ce sont les méthodes de collecte de données.
Cette présentation d’outils de la recherche qualitative n’est pas exhaustive et il y a de la place pour en créer d’autres selon les besoins de la recherche, selon les gens avec qui l’on travaille et ce que l’on veut obtenir. Il s’agit donc ici d’une liste indicative.
Dans le cas d’une recherche où l’objectif est de connaître la perspective des femmes, il est important d’aller à leur rencontre et de s’assurer que celles-ci participent à tout le processus. Ce sont elles qui connaissent le mieux leur réalité et qui peuvent le mieux aider à la comprendre. Cela définit, en partie, les moyens à prendre. De même, les principes autochtones définiront la façon dont les entrevues ou autres méthodes de cueillette de données seront menées.
La recherche documentaire: il est généralement utile d’aller chercher la documentation existante sur le sujet choisi. Ce sont des données qui peuvent contribuer à expliquer le contexte ou qui aident à mieux comprendre le sujet (cette première recherche documentaire peut également contribuer à bonifier notre problématique). Cette documentation pourra être utile pour venir appuyer ou approfondir les témoignages qui seront recueillis lors des entrevues. Cette recherche documentaire peut se faire tout au long du processus de recherche. Elle peut se concentrer sur des textes ou résolutions du Conseil de bande, des articles de journaux, des recherches précédentes, des livres ou revues publiés, etc.
Définition d’une entrevue : c’est une conversation avec un but, avoir de l’information en profondeur sur un sujet en particulier que possède une ou un expert (le terme expert doit ici être compris au sens large de personnes qui connaissent le mieux ce qui est recherché). Le choix des personnes se fait selon la nature des informations à colliger.
contrairement à la recherche documentaire, les entrevues permettent de recueillir de l’information à partir des connaissances, expériences de vie, etc., de personnes. Ces personnes « informatrices » seront identifiées selon différents critères qui seront établis à partir des objectifs et besoins de la recherche. Il y a plusieurs types d’entrevues et celles-ci peuvent être individuelles ou faites en groupe.
elles se déroulent entre la chercheuse et une personne qui possède des informations pertinentes (aînée, membre de la communauté, autorité, etc).
Le type d’entrevue peut être structuré, peu structuré ou pas du tout structuré.
Une entrevue est structurée quand la grille de questions est fermée, c’est-à-dire décidée en totalité par l’intervieweur. L’entrevue semi-structurée est plus flexible. Il y a des questions préparées, mais elles servent davantage de guide que de grille. L’entrevue non structurée prend la forme d’une conversation où la personne interviewée contrôle le rythme et les sous-thèmes abordés. Les questions visent surtout à relancer la personne qui parle.
ce sont des entrevues qui se déroulent avec plusieurs personnes à la fois. Ce sont des entrevues de groupe qui peuvent prendre plusieurs formes. Il faut d’abord se poser la question : pourquoi une entrevue collective? Qu’est-ce que je veux apprendre? Pourquoi le fait de réunir plusieurs personnes en même temps peut être bénéfique pour ma collecte de données plutôt que de procéder par des entrevues individuelles? Parfois les entrevues collectives peuvent permettre d’aller chercher plus d’information qu’individuellement mais parfois c’est le contraire.
Les entrevues collectives sont généralement appelées groupes de discussions ou focus groups. Il faut donc décider, en fonction des objectifs de recherche, quelles sont les personnes qui doivent participer et préparer des questions qui permettront d’aller recueillir les informations utiles pour répondre à la question de recherche.
Les cercles de paroles sont souvent utilisés en milieu autochtone mais il faut réfléchir avant d’y avoir recours dans le cadre d’une recherche. Ces cercles utilisent souvent un objet que l’on tient au moment de prendre la parole (par exemple un bâton ou une plume) et qui est circulé d’une personne à l’autre quand vient le moment de prendre la parole. Les cercles de paroles représentent un exercice important mais les paroles qui y sont prononcées ne doivent habituellement pas être rapportées, ce qui peut poser problème dans un contexte de recherche. Cela dit, il peut être possible d’emprunter certaines techniques propres au cercle de parole tout en soulignant aux personnes présentes qu’il ne s’agit pas d’un cercle de parole mais plutôt d’un groupe de discussion où les informations seront utiles au processus de recherche en cours.
Lors de la rencontre du focus group, il est bon de résumer notre compréhension de ce qui a été dit, et si nécessaire, de reposer différemment une question, de demander si quelqu’un a des commentaires, de poser une question de suivi, de regarder toutes les personnes présentes de façon à ce que toutes se sentent invitées à prendre la parole. Il ne faut jamais juger ce qui se dit et toutes les opinions émises par les participants doivent être bien reçues par la personne animant le groupe de discussion. Dans tous les cas, il est important de créer une relation avec la ou les participantes et de la ou les mettre à l’aise.
Le World café est une autre forme de discussion qui débute en petits groupes puis se termine en plénière (grand groupe). C’est une méthode pour consulter les gens sur un sujet et qui vise la recherche de solutions et d’actions. Il faut définir un objectif partagé, une intention claire; organiser un espace accueillant; co-construire les questions centrales avec le groupe; stimuler la contribution de chacun; relier les idées les unes aux autres; récolter et partager le fruit des échanges entre tous. Il est bon de poser trois questions : une plus large pour explorer, une plus précise qui découle de l’autre et la troisième vers les actions de suivi. On l’appelle le World café car la salle de discussion est aménagée comme un café avec des tables rondes de 4 ou 5 personnes. Les gens changent de table (sauf la personne responsable de la prise de note et de l’animation de la table) à chacune des trois questions.
Forum ouvert : c’est une autre forme de groupe de discussion qui ne vise pas seulement la récolte d’information mais aussi des pistes pour la compréhension commune d’un enjeu. Le forum ouvert se déroule habituellement en deux phases : l’émergence/exploration et la convergence puis le passage à l’action. Le sujet est déjà connu parce qu’il a été communiqué lors de l’invitation. En groupe et à tour de rôle, les gens déclinent les sous-thèmes qui leur tiennent à cœur. C’est ce qui constituera l’ordre du jour. Puis c’est l’exploration commune via des présentations orales brèves, un engagement vers l’action individuelle et collective. On crée peu à peu une convergence c’est-à-dire un point où les gens se retrouvent.
L’intention derrière la récolte des échanges est de conserver une mémoire collective de ce qui a été dit et fait et de tenter de développer une compréhension partagée d’un enjeu et de trouver des pistes d’action. Dans ce type de rencontre, la récolte d’information est également une opportunité de mobilisation et d’émancipation collective.
généralement les histoires de vie sont le fruit d’une série d’entrevues individuelles entre la chercheuse et une personne dont l’expérience de vie illustre bien ce qui est recherché. C’« est une technique de recherche dans laquelle le chercheur cherche à comprendre le milieu social, les processus sociaux à partir des expériences d’une personne, mais aussi d’un groupe ou d’une organisation » 3
L’histoire de vie diffère de la biographie car elle vise plutôt à connaître la société et mieux saisir son évolution alors que la biographie se centre essentiellement sur la personne interviewée. L’histoire de vie illustre un contexte à travers la vie d’une personne. Elle permet aussi d’approfondir et d’explorer les différentes nuances d’une situation réelle et vécue.
«Technique de recherche qualitative par laquelle le chercheur recueille des données en participant à la vie quotidienne du groupe, de l’organisation, de la personne qu’il veut étudier.» 4
L’observation sans participation au groupe existe également. En général on emprunte une combinaison des deux. Les données issues de ces observations sont recueillies ou servent de contexte à la recherche.
Normalement le chercheur ou la chercheuse a tendance à observer en fonction de ce qu’elle veut voir et de ce qu’elle est comme personne. Mais il faut pouvoir se laisser surprendre et aller au-delà de ses préjugés ou idées préconçues.
une fois déterminée la façon avec laquelle seront recueillis les éléments d’information, il faut se demander qui sont les personnes à interviewer. Si on privilégie des entrevues collectives, il faut se demander quelles sont les personnes susceptibles de pouvoir présenter différents points de vue, ou les différentes connaissances dont nous avons besoin. Il faut aussi penser aux dynamiques de groupe qui auront lieu lors des entrevues collectives. La façon de sélectionner l’échantillon (les personnes que nous devons voir) est différente de la recherche quantitative. Il ne s’agit pas d’avoir un grand nombre de personnes représentatives de l’ensemble mais plutôt des personnes qui peuvent alimenter en informations pertinentes notre thème de recherche. Il est utile de se faire une liste de critères pour les personnes à inviter.
il est utile de consigner par écrit la façon dont se déroulent les entrevues ou les questions qu’on se pose ou les différentes réflexions que l’on fait. Ces informations peuvent servir pour mettre les données dans leur contexte ou alors pour faire le bilan de ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas.
tant la recherche documentaire que les entrevues fournissent des données ou informations qu’il faudra ensuite mettre en ordre. À partir des notes ou des enregistrements d’entrevue, il est possible d’identifier quels éléments d’information aident à comprendre le contexte, lesquelles ajoutent à la connaissance du sujet et quelles informations ne sont pas importantes. Des attitudes, des silences, peuvent aussi se révéler être des données. Il peut, par exemple, être très utile de comprendre que certaines informations ne seront jamais données devant un groupe à cause de certains tabous qui existent dans la communauté. Dans ce cas, on peut devoir utiliser des stratégies alternatives pour recueillir ces informations.
Il est important de faire rapidement une transcription des entrevues afin de ne rien perdre de ce qui a été dit. Si celle-ci n’a pas été enregistrée alors il faut transcrire ses notes le plus rapidement possible afin de ne pas oublier les détails de l’entrevue. Si elle a été enregistrée alors il vaut mieux :
Pour faire une bonne entrevue individuelle, il faut de bonnes questions qui vont permettre de couvrir tous les thèmes pour lesquels nous voulons de l’information mais surtout une façon de faire qui va aider à établir un bon climat d’entrevue.
« Plus que les questions elles-mêmes, c’est le climat de l’entrevue qui décidera de la qualité des réponses. »
Questions d’entrevue : les questions sont prévues et posées en lien avec l’objectif de l’entrevue. On peut aussi poser certaines questions pour vérifier la fiabilité des réponses ou alors pour créer un climat confortable. Il est préférable d’éviter les questions qui peuvent rendre inconfortable. Il faut viser une seule question par sujet à couvrir et faire attention à l’ordre des questions. Ne pas prendre trop du temps de la personne. « La qualité des informations provient souvent du choix de questions qui attirent les bonnes réponses. » Il est donc bien important de penser aux questions qui seront posées, de même que comment elles seront posées. On peut avoir besoin de sous-questions pour relancer une personne après un silence.
Les questions ne doivent pas contenir de jugement de valeur. Il faut aussi faire attention de ne pas donner sa propre opinion car cela peut faire dévier le raisonnement de la personne.
« Les questions fermées à répondre par un oui ou un non sont à proscrire. Une bonne question ouverte est simple et claire; elle appelle plusieurs réponses tout en portant sur ce que la personne connaît bien ».
Les entrevues semi-structurées c’est-à-dire celles pour lesquelles des questions sont formulées, mais qui laissent l’espace et le temps nécessaire à la personne pour suivre son idée et l’illustrer, sont généralement les plus susceptibles de donner de bons résultats.
Voici une série d’éléments pouvant contribuer à créer un bon climat :
Lors d’une entrevue, dépendant des sujets, certaines personnes peuvent se remémorer des expériences douloureuses au moment des échanges. Il vaut mieux alors faire une pause, demander à la personne si elle désire continuer ou pas, tenter de prononcer des paroles de réconfort et éventuellement l’inviter à appeler une personne de confiance pour l’accompagner. Il vaut mieux ne pas laisser la personne avant qu’elle soit accompagnée ou alors qu’elle ait pu retrouver son équilibre.
Dans tous les cas, une entrevue devrait se terminer sur une note positive tant sur l’expérience partagée que sur l’importance du témoignage pour la recherche. L’utilisation des informations par l’équipe de recherche doit être le plus claire possible pour la personne qui a donné son temps et ses connaissances. Il est important de partager l’information sur les étapes à venir avec la personne interrogée de même que la façon dont elle sera recontactée.
Y a-t-il encore de la discrimination par rapport aux métis dans la communauté? Cette question inclue un jugement de valeur (les métis sont discriminés) alors que: Qui fait partie de la communauté? Qui n’en fait pas partie? Selon vous, selon le conseil de bande? Sont des questions plus neutres.
Accueillez l’interviewé; remerciez-le d’être venu ou d’avoir accepté de vous rencontrer; parlez de la confidentialité; Présentez-vous et présentez le projet; Demandez la permission d’utiliser un magnétophone; Informez de la durée prévue de l’entrevue; Dans certaines cultures il est coutume d’apporter du tabac à un ou une aîné-e lorsqu’on l’interroge.
Posez les questions (écrivez vos questions avant l’entrevue et numérotez-les); respectez les silences quand il y en a; n’émettez pas de jugement; ne posez pas les questions auxquelles la personne interviewée, à travers son discours, a déjà répondu; remerciez l’interviewé pour son temps et ses connaissances.
Après l’entrevue, notez toutes les informations pertinentes. Si l’entrevue n’est pas enregistrée, transcrivez vos notes tout de suite afin de ne pas oublier de détails. N’oubliez pas d’envoyer une note de remerciement à la personne.8
La qualité d’une entrevue collective tient beaucoup à l’ambiance qui est créée, à la dynamique de groupe. Parfois, deux ou trois personnes mal intentionnées peuvent rendre cette ambiance difficile pour tout le groupe.
Quelques outils peuvent aider à établir et maintenir une bonne ambiance et assurer une animation positive.
A – Principes communs pour un dialogue de qualité (Tiré de Art of Hosting, L’art du leadership participatif-Guide des méthodes, votre cahier de bord -Résultat d’un travail collectif)9 :
Concentrez-vous sur ce qui compte; suspendez vos jugements; invitez à parler avec intention; écoutez-vous attentivement les uns les autres; approfondissez ensemble vos réflexions et vos questions; liez et connectez vos idées; ralentissez; soyez conscients de votre impact sur le groupe; acceptez les opinions divergentes; contribuez avec votre esprit et votre cœur; jouez, gribouillez, dessinez; amusez-vous.
Après la rencontre : regardez les notes et demandez à quelqu’un de faire la même chose. Se demander quels sont les thèmes communs, si une quelconque tendance se dessine, si de nouvelles questions émergent et quelles sont les conclusions. Il faut partager les résultats avec le groupe par la suite, par écrit si une rencontre est impossible.
B – Les fonctions de l’animateur d’un groupe de discussion (Tiré de la boîte à outils)
Dans certains cas des personnes peuvent se remémorer des expériences douloureuses au moment des échanges et vouloir quitter le groupe. Il est mieux de prévoir la présence de personnes expérimentées (intervenant-e-s sociales par exemple) pour aider ces personnes.
Finalement, il est important de finir sur une note positive permettant de souligner les apports de chacune et chacun. Il ne faut pas oublier de rappeler en quoi cette entrevue sera utile pour le projet de recherche et communiquer les prochaines étapes de la recherche de même que son calendrier. Les gens doivent savoir si on attend autre chose d’eux ou pas.
Questions utiles : Comment animer pour arriver à nos objectifs tout en respectant les participantes? Comment aborder un sujet délicat sans créer d’antagonismes? Comment appliquer les principes autochtones aux outils de recherche? Que faire si quelqu’un monopolise la discussion et s’éloigne du sujet? Comment juger qu’elle s’éloigne du sujet et n’est pas plutôt en train de présenter un angle auquel nous n’avions pas songé? Faut-il enregistrer ou pas? Si oui, fait-on la transcription des entrevues ou prend-t- on seulement des notes?
[1] Community Tool Box, Chapitre 3, section 12 http://ctb.ku.edu/en [2] Cette section s’inspire largement de: Art of Hosting [3] Jean-Pierre Deslauriers, Recherche qualitative, guide pratique, Montréal, McGraw Hill, 1991 [4-5-6-7] Jean-Pierre Deslauriers [8] Ministère de la Santé du Canada : Boîte à outils, ressources d’action communautaires pour les Inuit, les Métis et les Premières nations. [9] www.aohmontreal.org [10] Boîte à outils : Ressources d’action communautaire pour les Inuit, les Métis et les Premières nations.